lundi 19 octobre 2020

Sérotonine, une vingt-septième resucée des romans de Nabe

 

Sérotonine (2019), le dernier roman de Michel Houellebecq, est l’histoire de Florent-Claude Labrouste, un lâche, menteur, voyeur et dépressif sous antidépresseur (Captorix), qui écrit un livre retraçant sa vie amoureuse ratée et sa grande amitié avec Aymeric d’Harcourt-Olonde. Cette proximité avec Aymeric va permettre au narrateur de vivre et raconter de l’intérieur la révolte - qui sera comprise sans être toutefois cautionnée par Florent-Claude - des agriculteurs et producteurs de lait face à la violence de la mondialisation. La narration de ses  différents échecs amoureux conduira le lecteur à être plongé dans les gouffres du mal-être, de la souffrance et au plus profond de la dépression de Florent-Claude Labrouste...

Un roman Naturaliste  

Au fur et à mesure du roman où Florent-Claude raconte sa vie passée, les phrases s’alourdissent, le style tantôt drôle au début du livre devient pesant, oppressant, déprimant. Les descriptions des lieux plongent le lecteur tantôt dans la claustrophobie lorsque le narrateur se trouve dans un espace clos tantôt dans l'agoraphobie lorsque le narrateur décrit de grands espaces. Ces représentations d’endroit, existant vraiment comme La Tour Totem, l'Hôtel Mercure, le Relais-Château, la brasserie O’Jules n’ont pas échappé aux journalistes. Certains se sont même déplacés pour observer, s’extasier et se rendre compte que “oui !” c’est aussi sinistre que dans le livre. Un jour peut-être Houellebecq sortira, à la manière de Zola, ses “Carnets d’Enquête” ?

 Sérotonine entre parfaitement (ou désespérément) dans les codes de l’école romanesque du naturalisme initié par Zola, à savoir l'étude de l'homme naturel, soumis aux lois physico-chimiques et déterminé par les influences du milieu. Ici, l’homme c’est Florent-Claude. L’influence du milieu socio-familial est partiellement rejetée par l’auteur comme pouvant être la cause de sa déprime :

-       Le narrateur est ingénieur agronome et possède sept cent mille euros sur son compte

-       Les parents, quoique morts par suicide ne sont pas désignés comme la cause du mal-être du narrateur : je n’ai par ailleurs rien à reprocher à mes parents, ils furent à tous égards d’excellents parents

Le déterminisme héréditaire ( fêlure héréditaire pour Zola) se substitue à celui de Dieu :

Dieu avait disposé de moi mais je n’étais, je n’étais en réalité, je n’avais jamais été qu’une inconsistante lopette, complexe. Dieu m’avait donné une nature simple, infiniment simple à mon avis, Dieu s’occupe de nous en réalité, il pense à nous à chaque instant, et il nous donne des directives parfois très précises.
Il y a même à la fin du roman une vision du Christ rédempteur : 

Et je comprends, aujourd’hui, le point de vue du Christ, son agacement répété devant l’endurcissement des cœurs : ils ont tous les signes, et ils n’en tiennent pas compte. Est-ce qu’il faut vraiment, en supplément, que je donne ma vie pour ces minables ? Est-ce qu’il faut vraiment être, à ce point, explicite ? Il semblerait que oui

Les lois physiques sont mises en exergue de façon plutôt drôle quand Florent-Claude songe à se défenestrer et se demande combien de temps durera sa chute:

C’était bien la peine d’avoir fait des études scientifiques longues : la hauteur h parcourue par un corps en chute libre en un temps t était en réalité précisément donnée par la formule h=1/2gt2, g étant la constante gravitationnelle, ce qui donnait un temps de chute, pour une hauteur h, de √2h/g. Compte tenu de la hauteur (cent mètres presque exactement) de mon immeuble, et du fait que la résistance de l’air pouvait pour ces hauteurs de chute être négligée, cela représentait un temps de chute de quatre secondes et demie, cinq secondes au maximum si l’on tenait absolument à introduire la résistance de l’air ; pas de quoi, comme on le voit, en faire un drame.

A la manière de Zola qui satisfaisait son goût pour l'impressionnisme en décrivant des paysages, Houellebecq utilise le gigantisme pictural :

L’arrivée au bord du lac de Rabodanges, sur lequel le soleil commençait son déclin, m’impressionna : il s’étendait sur des kilomètres, de part et d’autre d’un pont, au milieu de forêts denses de chênes et d’ormes ; Le ciel était si clair ce matin-là qu’on apercevait l’océan, dans la distance ; le temps était resplendissant, le ciel d’un bleu turquoise, presque irréel.

nous étions seuls dans la rame au milieu de deux immensités abstraites, le ciel et la mer; peinture de Rothko

 

Albert Marquet, Falaises de Flamanville

Description des falaises de Flamanville par Houellebecq :

l’océan scintillait, agité de très légères ondulations, jusqu’à l’infini. Le ciel d’une limpidité parfaite offrait un dégradé de teintes candides, d’un bleu très clair ; il me sembla, pour la première fois, distinguer à l’horizon les côtes d’une île.Je ressortis avec mes jumelles : oui, c’était étonnant vu la distance, mais on apercevait bel et bien un léger ressaut d’un vert tendre, qui devait être la côte orientale de Jersey.

 L'originalité réside surtout dans l’utilisation de la chimie et de la biochimie dans ce roman. Le titre du livre s’appelle “Sérotonine”et le narrateur explique qu’il s’y connait :

je le comprenais d’autant mieux que j’avais moi aussi beaucoup aimé la biochimie, j’avais éprouvé un plaisir étrange à l’étude des propriétés de ces molécules complexes, la différence c’est que je m’étais plutôt intéressé à des molécules végétales, du genre chlorophylle ou anthocyanines, mais enfin les bases étaient en gros les mêmes, je voyais très bien de quoi il voulait parler.

Au premier chapitre il y a quelques explications :  

-       Les premiers antidépresseurs connus (Seroplex, Prozac) augmentaient le taux de sérotonine sanguin en inhibant sa recapture par les neurones 5-HT1. La découverte début 2017 du Capton D-L allait ouvrir la voie à une nouvelle génération d’antidépresseurs, au mécanisme d’action finalement plus simple, puisqu’il s’agissait de favoriser la libération par exocytose de la sérotonine produite au niveau de la muqueuse gastro-intestinale.

-       Le Captorix fonctionnait en augmentant la sécrétion de sérotonine

-       Les effets secondaires indésirables les plus fréquemment observés du Captorix étaient les nausées, la disparition de la libido, l’impuissance.Je n’avais jamais souffert de nausées

Un bref éclaircissement sur la pharmacologie de la dépression n’est pas inutile pour comprendre tous les codes du roman.

On constate lors d’une dépression qu’il y a une diminution de la transmission synaptique des neurotransmetteurs (noradrénaline, adrénaline, sérotonine, dopamine). En gros la sérotonine a du mal à se déplacer d’un point A (membrane pré-synaptique) à un point B (membrane post-synaptique). Les antidépresseurs actuels consistent à faciliter ce transport soit en empêchant la sérotonine d’être re-captée par des auto-récepteurs situés au point A, soit en inhibant l’activité des enzymes, situés entre A et B (on appelle ça la fente synaptique), qui dégradent la sérotonine. La trouvaille de Houellebecq est d’avoir imaginé un médicament (le Captorix n’existe pas) qui facilite la libération de Sérotonine et empêcherait la dépression.

D’où vient la sérotonine ? A la base, la sérotonine provient d’un acide aminé, le tryptophane, qui provient de l’alimentation. Pas de nourriture à base de tryptophane : pas de sérotonine !

Même si le narrateur passe son temps à cloper et à picoler (les effets de la nicotine et de l’alcool sur l’organisme sont détaillés dans le livre), il n’est pas étonnant de constater que le narrateur s’alimente exclusivement d’aliments à base de tryptophane tout au long du livre : 

quoi qu’il en soit le restaurant était bon, et le plateau de fromages somptueux , J’optai finalement pour une cassolette d’escargots de Bourgogne au beurre d’ail, à suivre des noix de Saint-Jacques poêlées à l’huile d’olive et leurs tagliatelles , une omelette au jambon , D’un autre côté, il y avait quand même des choses que j’aimais bien, à l’extérieur, une petite virée au G20 par exemple, ils avaient quatorze variétés différentes de houmous  ;  salade, jambon de pays, cantal, pommes sautées, cerneaux de noix, œuf dur, à moins que ce ne soit à ceux de « Jules berger » (salade, tomates, crottin de chèvre chaud, miel, lardons).

Pas surprenant non plus de voir que Florent-Claude a travaillé de l’exportation du fromage et des œufs (sans vraiment réussir à les exporter) :

[j’avais] pour première ambition de promouvoir les « seigneurs de la trilogie normande » : le camembert, le pont-l’évêque, le livarot.-éleveurs laitiers ; c’était un élevage énorme, plus de trois cent mille poules, qui exportait ses œufs jusqu’au Canada et en Arabie Saoudite, mais surtout il avait une réputation infecte, une des pires de France. 

 Ou que son meilleur ami, Aymeric travaille dans les produits laitiers :

 ça n’allait pas fort pour moi non plus en ce moment, que le sort des éleveurs laitiers allait avoir du mal à susciter ma compassion active.; on commençait à agiter l’idée d’une suppression des quotas laitiers – cette décision qui devait plonger des milliers d’éleveurs français dans la misère.

Il est à noter qu’il n’y a en aucun cas une “prophétisation” des gilets jaunes dans le livre. C’est plutôt une révolte des agriculteurs.

Amusant de voir aussi la vrai-fausse coquille :

 Les Japonais, et même plus généralement les Asiatiques, tiennent très mal l’alcool, par suite du mauvais fonctionnement chez eux de l’aldéhyde déshydrogénase 2, qui assure la transformation de l’éthanol en acide acétique.

Les Japonais ne tenant pas l'alcool à cause d’un déficit en Alcool déshydrogénase; et l’aldéhyde déshydrogénase étant l’enzyme catabolisant (détruisant) la sérotonine. La petite coquille sur la non-présence de vaches sur la pochette de l’album Ummagumma des Pink Floyd n’est en soi pas gênante (l’auteur ne se souvient précisément que  de ses ex); plus gênant est la contradiction : Je n’avais jamais souffert de nausées (chapitre 1) et Je me réveillai très tard le lendemain matin, dans un état de nausée et d’incrédulité proche du spasme (chapitre 28).

Il y a aussi une personnalisation de la sérotonine, Florent-Claude devient la sérotonine :

-       La mort, cependant, finit par s’imposer, l’armure moléculaire se fendille, le processus de désagrégation reprend son cours.

-       Les ex-femmes (ou le souvenir que Florent-Claude a d’elles) agissent comme des auto-récepteurs dont il doit s’échapper faute d’être capturé :  je craignais de ne pas réussir à m’échapper ; Je devais rechercher le vide, le blanc et le nu ;parce que je n’aurais plus jamais l’impression d’avoir à mes côtés une femme mais une sorte d’araignée, une araignée qui se repaissait de mon fluide vital, et qui demeurait pourtant en apparence une femme, elle avait des seins, elle avait un cul (que j’ai déjà eu l’occasion de louer) et même une chatte (sur laquelle j’ai exprimé certaines réserves), mais rien de tout cela ne comptait plus, à mes yeux elle était devenue une araignée, une araignée piqueuse et venimeuse qui m’injectait jour après jour un fluide paralysant et mortel, il importait qu’elle sorte, le plus tôt possible, de ma vie ; et je me souviens de ses petits seins fermes, dans la lumière matinale, à chaque fois que ça me revient j’ai une très forte envie de crever.

-       Il y a aussi les passages journaliers du narrateur dans le treizième arrondissement Parisien dont les étapes ressemblent à s’y méprendre à la synthèse de la sérotonine et sa dégradation : et je repris dès le lendemain mes circuits quotidiens qui m’emmenaient de la brasserie O’Jules (Tryptophane) au Carrefour City (Sérotonine) en passant par la rue Abel-Hovelacque (5-HydroxyTryptophane), que j’enchaînais par la brève remontée de l’avenue des Gobelins (Hydroxy Indole Acétaldéhyde), avant la bifurcation (aldéhyde déshydrogénase, aldéhyde réductase) terminale vers l’avenue de la Sœur-Rosalie.

Notons que le Carrefour City est présenté par l’auteur comme : 

je ne manquais jamais de marquer un arrêt au Carrefour City. Ce magasin, j’en avais eu l’intuition dès ma première visite, allait être amené à jouer un rôle dans ma nouvelle vie. Et ce nom de Captorix, qui devait en venir à jouer un rôle si important dans ma vie.

 

 

 

-       Plus fantaisiste encore est la pérégrination dans Paris de Florent-Claude qui vu sur Google Maps ressemble  à la structure chimique de la sérotonine : la place d’Italie est le noyau benzène relié à l'atome d'Oxygène ( O'Jules, la brasserie), le noyau pyrrole (avec l’Hôtel, l’avenue Sœur-Rosalie, la rue Hovelacque, l'avenue des Gobelins) et le groupement aminé qui mène à la Butte-aux-Cailles. Après La Carte et le Territoire, la Carte et la Molécule ?           

Il y a aussi le médecin de Florent Claude, le Docteur Azote, qui n’hésite pas à se griller une cigarette devant son patient ( Je me souvenais aussi qu’au beau milieu de la consultation il avait allumé une Camel, « excusez-moi c’est une mauvaise habitude je suis le premier à déconseiller… »), dont l’atome est doublement présent dans la molécule de sérotonine. Les épisodes de mal-être dont l’auteur souffre sont aussi typiquement les effets indésirables de la prise d’antidépresseurs : trouble de la libido, palpitation, tachycardie, tremblements, agressivité (il cherche à tuer le fils de son ex), etc… : les épisodes de tachycardie commencèrent dès onze heures du soir, aussitôt suivis de sudations abondantes et de nausées ; J’étais agité de tremblements lorsque je me relevai ; à ce moment mon cœur se mit à tressauter follement etc…

L’empathie comme marque de fabrique

 Il ne faut pas le cacher, il y a des thèmes et des scènes qui bouleversent le lecteur dans ce roman. Le suicide d’Aymeric en direct devant les caméra de BFM lors d’une manifestation des agriculteurs présentée comme ultime recours pour faire entendre la détresse des travailleurs. La quête de l’amour perdu est tout aussi touchante et fédératrice !

On retrouve aussi la force qu’à Houellebecq pour nous faire “aimer” les personnages de ses romans et créer de l’empathie pour eux. Florent-Claude est macho mais il est drôle (un peu comme son personnage d’humoriste misogyne dans “La Possibilité d’une île”), il est égocentrique mais il a une dépression, il n’a jamais réussi à rendre quelqu’un heureux sur le long terme mais ses parents se sont suicidés quand il était jeune, il cherche à tuer un enfant mais y renonce et songe à se suicider peu de temps après…. 

Comme une sensation de Nabe...?

 

 

Pierre Bernard avait déjà en 2010 dans un article intitulé “Et si le Goncourt n’était qu’un sous-non Renaudot ?” énuméré les similitudes entre La Carte et le Territoire (septembre 2010) avec Alain Zannini (2002), L’Homme qui arrêta d’écrire (janvier 2010), Je suis mort (1998)ou encore Le Bonheur (1988) de Marc-Edouard Nabe. 

Pour Sérotonine les coïncidences affluent également avec Alain Zannini :

-       La narration est à double structure temporelle à l’image d’Alain Zannini. Le héros narre une histoire et dans cette même histoire ce dernier se remémore certains souvenirs.

-       Le narrateur fuit sa femme au début du roman (Patmos dans Alain Zannini, Le treizième arrondissement dans Sérotonine)

-       Les femmes et ex-femmes du narrateur (Yuzu, Claire, Kate et Camille) ne sont désignés que par leurs prénoms comme dans Alain Zannini.

-       Le narrateur possède un double dans le roman : Marc-Edouard Nabe / Alain Zannini et Florent-Claude Labrouste / Aymeric d’Harcourt-Olonde. Dans l’avant-propos de Sérotonine c’est l'éditeur qui indique qu’Aymeric est le double inversé de Florent-Claude.

-       Sérotonine comme Alain Zannini sont des romans sur l’identité : “Il y a le prénom, le nom et le renom” (L’Affaire Zannini)

-       Le souvenir des scènes sexuelles vécues par Florent-Claude sont racontées de façon très crue comme dans Alain Zannini.

-       Il y a des jeux (et “je”) de temporalité qui amènent à rendre le lecteur actif et non passif dans Sérotonine comme dans Alain Zannini : “Il y a encore quelques mois (quelques mois seulement ? une année entière, voire deux ? je ne parvenais plus à associer de chronologie à ma vie, seules quelques images survivaient au milieu d’un néant confus, le lecteur attentif complétera)” ; “j’avais déjà quarante-six ans maintenant” pour Sérotonine. Et “Un drôle de roman commence : je veux vous prévenir, vous, lecteur du seul temps qui existe, celui de la lecture. Vous êtes dans le vrai moment de ma vie, moi je n’y suis que par anticipation, et encore, rétrospectivement !” pour Alain Zannini.

-       La défense des prostituées et de leurs générosités dans Sérotonine comme dans Alain Zannini.

D’autres coïncidences entre Sérotonine et L’Homme qui arrêta d’écrire peuvent être trouvées aussi :

-       la présence dans les deux romans d’un pédophile qui n’est pas arrêté.

-       les premières pages de ces deux romans sont également troublantes de similitudes :

Vers cinq heures du matin ou parfois six je me réveille, le besoin est à son comble, c’est le moment le plus douloureux de ma journée. Mon premier geste est de mettre en route la cafetière électrique ; la veille, j’ai rempli le réservoir d’eau et le filtre de café moulu (en général du Malongo, je suis resté assez exigeant sur le café). Je n’allume pas de cigarette avant d’avoir bu une première gorgée ; c’est une contrainte que je m’impose, c’est un succès quotidien qui est devenu ma principale source de fierté (il faut avouer ceci dit que le fonctionnement des cafetières électriques est rapide).Le soulagement que m’apporte la première bouffée est immédiat, d’une violence stupéfiante. La nicotine est une drogue parfaite, une drogue simple et dure, qui n’apporte aucune joie, qui se définit entièrement par le manque, et par la cessation du manque. Quelques minutes plus tard, après deux ou trois cigarettes, je prends un comprimé de Captorix avec un quart de verre d’eau minérale – en général de la Volvic.(Sérotonine)

Arrêter d'écrire c'est un peu comme arrêter de fumer, il faut choisir un jour et s'y tenir[...]Depuis toujours, le bruit de l'ordinateur allait de paire avec celui de ma cafetière italienne, désormais je n'entendrai plus qu'un bruit sur deux[...] Il est seulement neuf heures et je m’ennuie déjà. Je retourne me coucher, impossible de me rendormir.Je me relève, je me refais un café. Quand j'étais écrivain, je n'en buvais qu'un et je me mettais tout de suite au travail. Drôle de goût le deuxième café. Voilà ma première découverte : pour un non-écrivain, un deuxième café n'a pas le même goût que le premier. C'était la première fois que j'en prenais deux fois.(L'Homme qui arrêta d’écrire)

-       La défense des producteurs de lait dans Sérotonine est visible aussi dans l’interview de Nabe pour la sortie de L’Homme qui arrêta d’écrire par Taddéi dans Ce soir ou Jamais !  (à 5 minutes)

-       Comme dans L’Homme qui arrêta d’écrire, des hommes de télé donnent leurs avis sur Laurent Baffie :

je tombai sur une émission d’hommage à Laurent Baffie, ce qui était en soi surprenant (était-il mort ? il était encore jeune, mais certains animateurs de télévision sont foudroyés en pleine gloire, et brutalement enlevés à l’amour de leurs fans, c’est la vie). Le ton en tout cas était bien celui de l’hommage, et tous les intervenants soulignaient la « profonde humanité » de Laurent, pour certains c’était un « super-pote, un roi de la déconne, un déglinguos total », d’autres qui l’avaient connu de plus loin mettaient l’accent sur le « professionnel impeccable », cette polyphonie bien orchestrée par le montage conduisait à une vraie relecture du travail de Laurent Baffie, et s’achevait de manière symphonique par la reprise quasi chorale d’une expression qui faisait l’unanimité des intervenants : Laurent était, par quelque bout qu’on le prenne, une « belle personne ».(Sérotonine)

il est en compagnie de Laurent Baffi qui se croit toujours obligé d’être drôle et vif comme à la télé, alors que tout le monde le sait que dans la vie, comme le répète Thierry Ardison, en dehors du domaine de la vanne et de celui des animaux où il excelle, Baffi est un sinistre blaireau(L’Homme qui arrêta d’écrire).

Une réponse au Vingt-Septième Livre ?

Paru initialement en 2005, Le Vingt-Septième livre de Marc-Edouard Nabe est une lettre ouverte à l’intention de Michel Houellebecq. On y apprend dans ce livre que les deux hommes ont été voisins dans les années 90, Nabe en profite pour donner de ses nouvelles, pour comparer la différence de célébrité entre eux mais surtout pour parler de leurs conceptions littéraires respectives. L’un (Nabe) est dans l’exaltation et la transcendance, l’autre (Houellebecq) est dans la dépréciation, la déprime, le mal-être. Houellebecq y convient et dira même à Nabe :

 Houellebecq lui-même me l'avait bien expliqué:Si tu veux avoir des lecteurs, mets-toi à leur niveau! Fais de toi un personnage aussi plat, flou, médiocre, moche et honteux que lui. C'est le secret, Marc-Édouard. Toi, tu veux trop soulever le lecteur de terre, l'emporter dans les cieux de ton fol amour de la vie et des hommes!... Ça le complexe, ça l'humilie, et donc il te néglige, il te rejette, puis il finit par te mépriser et te haïr….

Voyons cette différence de tempéraments lorsque deux écrivains qui marquent leur temps font des variations sur le même motif littéraire. Par exemple entre Sérotonine et Alain Zannini lorsque les narrateurs racontent leur première rencontre avec celle qui deviendra pour quelques temps leur femme :

-       Elle (Kate) avait vingt-sept ans au moment de notre rencontre – cinq ans de plus que moi, donc – et son expérience de la vie était largement plus étendue, je me sentais un petit garçon à ses côtés. Après des études de droit accomplies à une vitesse record, elle était devenue avocat d’affaires dans un cabinet londonien. « So, you should have met some kind of yuppies… », je me souviens de lui avoir dit ça, au matin de notre première nuit d’amour. « Florent, I was a yuppie » me répondit-elle doucement, je me souviens de cette réponse et je me souviens de ses petits seins fermes, dans la lumière matinale, à chaque fois que ça me revient j’ai une très forte envie de crever, enfin passons.(Sérotonine)

-       Dès que je l'ai vue chez Jason, j'ai pensé à la Galatée de Raphaël, vous connaissez certainement la fresque de la Farnesina... Cette nymphe fuyante sur son char tirée par deux dauphins souriants, c'est Delphine ! Elle surfe dans sa coquille de nacre sur l'écume émoustillée, les amours dans les nuages s'essoufflent à son passage mutin, et l'ignoble monstre marin auquel elle se refuse n'a que ce qu'il mérite.(Alain Zannini)

Lorsque les deux vont mal l’un (Houellebecq) est dans l’auto-apitoiement tandis que l’autre (Nabe) pratique l'autocritique ou auto-introspection par l’évangile de Saint-Jean, il appellera ça l’autopocalypse :

-       En début de soirée, à peu près à l’heure de Questions pour un champion, j’étais traversé par de douloureux moments d’autoapitoiement.” ; “je n’étais décidément qu’une lopette, une triste et insignifiante lopette, vieillissante de surcroît.

-       L’Apocalypse est un traité d’introspection. C’est de l’autre côté de chez soi. Chaque personne qui ouvre l’Apocalypse n’importe où n’importe quand, y écrit, croyant la lire, sa propre histoire.

Dieu responsable de l'échec ? :

-       D’accord, je n’étais pas programmé pour réussir, mais à ce point de ratage foireux, ça fait peur ! Je sais ce qui s’est passé. Dieu est rentré ivre mort un petit matin rue de la convention, zigzaguant, vomissant sur les pelouses, se cognant aux buissons, pissant contre un arbre en beuglant… Au milieu de la cour, Dieu a hésité un insatnt entre les deux immeubles : gauche ou droite ?... Et c’est dans le tien qu’il s’est engouffré. (Le Vingt-Septième Livre)

-       Dieu est un scénariste médiocre, c’est la conviction que presque cinquante années d’existence m’ont amené à former, et plus généralement Dieu est un médiocre, tout dans sa création porte la marque de l’approximation et du ratage, quand ce n’est pas celle de la méchanceté pure et simple.(Sérotonine)

Que dire aussi d’extraits de Sérotonine et du Vingt-Septième Livre qui résonnent comme des échos :

-       Pas seulement humiliés et offensés, mais orgueilleux et prétentieux ! (Vingt-Septième Livre)

-       « Humiliés et enculés » c’était un bon titre, du Dostoïevski trash, d’ailleurs il me semblait que Dostoïevski avait écrit sur le monde carcéral, c’était peut-être transposable, enfin là je n’avais pas le temps de vérifier. (Sérotonine)

-       C’est là que tu lui as parlé de ton fils à toi, et dans des termes assez choquants, paraît-il. Tu n’avais pas encore ton chien Clément. Les enfants, comme les animaux et les femmes sont du côté de la vie, cette merde. Ca ne peut pas coller entre vous. Savais-tu que  Dostoïevski, après les Karamazov, avait eu l’intention d’écrire un dernier grand roman intitulé "Les Enfants" ? (Vingt-Septième Livre) 

-       Pouvait-on imaginer que Camille mette en danger pour moi cette relation parfaite et fusionnelle qu’elle vivait avec son fils ? Et pouvait-on imaginer que lui, l’enfant, accepte de partager l’affection de sa mère avec un autre homme ? La réponse à ces questions était passablement évidente, et la conclusion inéluctable : c’était lui ou moi. Le meurtre d’un enfant de quatre ans provoque inévitablement une vive émotion médiatique, je pouvais m’attendre à ce que des moyens de recherche considérables soient mis en œuvre. (Sérotonine)

Ainsi que l’utilisation de la mémoire conseillée par Nabe comme mécanisme à utiliser pour transposer des romans :

-       La science-fiction n'est pas réservée au futur. Ne crois-tu pas qu’utiliser sa mémoire comme machine à remonter le temps, c'est déjà de la science-fiction ? Vertigineux ! Proust l'a prouvé (Le Vingt-Septième Livre)

-       mon cœur fut tordu par une crispation douloureuse, les souvenirs revenaient sans discontinuer, ce n’est pas l’avenir c’est le passé qui vous tue, qui revient, qui vous taraude et vous mine, et finit effectivement par vous tuer.” [...] Ainsi toute la culture du monde ne servait à rien, toute la culture du monde n’apportait aucun bénéfice moral ni aucun avantage, puisque dans les mêmes années, exactement dans les mêmes années, Marcel Proust concluait, à la fin du « Temps retrouvé », avec une remarquable franchise, que ce n’étaient pas seulement les relations mondaines, mais même les relations amicales qui n’offraient rien de substantiel, qu’elles étaient tout simplement une perte de temps, et que ce n’était nullement de conversations intellectuelles que l’écrivain, contrairement à ce que croient les gens du monde, avait besoin, mais de « légères amours avec des jeunes filles en fleurs ». Je tiens beaucoup, à ce stade de l’argumentation, à remplacer « jeunes filles en fleurs » par « jeunes chattes humides» (Sérotonine).