vendredi 30 décembre 2016

Le Modèle et son Peintre : Darius et Nabe.


 
Darius sur fond gris, crayolor, 2016


"Peindre un modèle est une forme unique de prière à deux. Avec l'amour je ne vois pas de communion plus forte. La réflexion du peintre rencontre celle du modèle et de leurs noces d'ondes naît le portrait." (Le Bonheur, 1988)



Après ses portraits super flashy au marqueur de Prince, son exposition  "Antiquités Grecques" et son travail sur le rendu granitique de ses tableaux, voici l'expo "Darius" de Nabe !
Quarante-cinq portraits de Darius :  de profil, de face, de trois-quarts, en gros plan, debout, couché, en vue de profil fuyant ( de dos), assis ... Et au crayolor ! Moyen fiable et efficace, Degas et Lautrec en faisaient de même avec le pastel, pour que le tableau aille de la main du peintre à l'acquéreur rapidement. Dans le monde des médicaments on appelle ça une préparation extemporanée: du Préparateur au Patient impatient !
Et fait sans précédent, le modèle est rémunéré à 50% sur chaque vente de tableau: Fifty-Fifty !



  •  Peintre - Modèle.

Le peintre et son modèle


Le rapport Peintre-Modèle a souvent fasciné les peintres, certains y ont trouvé un moyen de rendre subversif ce thème. Pour ses Ménines, Vélasquez représentait les modèles en reflet dans un petit miroir ; Picasso n'hésitait pas à se représenter lui-même au côté de son modèle en pleine pose; Duchamp évoquait, non sans humour, le caractère voyeur et obscène du spectateur scrutant le modèle.
Ici, le rapport habituellement triangulaire Peintre-Modèle-Tableau est complètement dynamité par Nabe qui par la présence physique du modèle sur le lieu de l'exposition nous reçoit et commente les tableaux où il y figure.

"Quarante-cinq tableaux d'amour" ! Je peux avoir tord mais on est loin du rapport de force entre Lucian Freud et ses modèles et encore moins des" heures de tortures" (dixit une modèle) qu'infligeait Soutine, jusqu'au moment de rupture, où il estimait que son modèle pouvait être peint.
Sans trop m'avancer, ou tout du moins c'est l'impression qui en ressort,  je dirais que tout a été peint avec le plus de naturel qui soit. Nabe avait le cadre, le modèle prenait, par le plus grand des hasards, la ou les poses rêvées...Il n'y avait plus qu'à  répondre au caractère fortuit et insolite des situations et faire les tableaux.

Aucun misérabilisme non plus dans la représentation de celui qui "trouve refuge tous les jours à la galerie". Bien que le peintre et le modèle aient de fortes personnalités, ce qui pourrait expliquer une tension sur certains tableaux, on remarque qu'il n'y a pas de rapport dominant-dominé. La transcription picturale est au service de la dimension psychologique du modèle et de l'émotion.
Intimité émotionnelle, délicatesse. La nervosité du trait est là pour honorer l'expression d'un ressentiment personnel (du peintre et/ou du modèle) intense et très lyrique.

Darius à la fumée



 Lyrique jusqu'à la bêtise, je n'ai gardé des choses et des êtres que les impressions, les saveurs, les odeurs stockés au tréfonds, et qui ne peuvent pas remonter à la surface, pas assez en tout cas, et heureusement, pour dresser des romans. J'aime les minutieuses descriptions théâtrales d'ondes magiques, les ébats d'objets, les allégories tumultueuses, les débordements de personnages dans leurs décors, l'écriture qu'on voit durer, la littérature qui rentre dans les choses, les références qui se mettent en scène, les souvenirs qui explosent sur les costumes, les philosophies qui tachent, les causalités métaphysiques [...] Le Bêta de la Lyre (1986) / Extrait de Zigzags






 On peut même y voir une harmonie. Harmonie entre deux agitations : l'une créatrice du peintre et l'autre inhérente au caractère de Darius. Le modèle consent à être dessiné à n'importe quel moment. Ces tableaux sont le témoin de véritables morceaux de vie, de Darius et de la galerie, un peu comme comme dans un journal intime, sauf que le diariste échange sa plume pour des pinceaux ou des crayons de couleur. La transposition écrite ou dessinée n'étant que le moyen de "capter" l'âme d'une personne.

  •  Les Tableaux
Tourmenté, expressif, excentrique, songeur, exagéré, somnolent, hilare, colérique... La réussite de ces portraits tient non seulement par le trait mais aussi par l'utilisation des couleurs.


Tout d'abord les mains  représentées par un Nabe flirtant avec le maniérisme : grâce et contorsion des articulations au rendez-vous :




 J'ai toujours été sidéré par les mains. J'aime les végétales, comme des plantes charnues qui éclosent d'une manche de chemise. De la main à la main (1986) / Extrait de Zigzags



Le visage singulier (de temps à autre en cadrage serré) est mis en avant  par des couleurs chaudes rouges-orangées contrastant avec des couleurs froides dont le bleu du manteau et du pantalon. Bleu foncé, qui musicalement d'après Kandinsky [1], se rapprocherait du violoncelle et même de la contre-basse pour le bleu très foncé. Quoi de plus naturel qu'un violoncelle ou une contre-basse pour personnifier le mouvement,l'allure, la silhouette de Darius ?



Darius et la galerie Nabe
Darius fatigué















  • Et même un peu de sacré ?
On peut aussi s'amuser à trouver une dimension sacrée dans ces portraits. Tous les portraits de Nabe ont quelque chose de saint ou tout du moins expriment une certaine Sainteté de par l'admiration revendiquée par ce dernier dans ses livres ou ailleurs.
Si dans l'iconographie catholique Sainte Vérène est représentée avec  sa cruche et son peigne liturgique, vous remarquerez que Darius porte aussi des attributs  (Gobelet, Bouteille, Cigarette, Téléphone) au sein de la galerie et qu'en dehors la vision peut devenir un peu plus profane.





Sainte Vérène
Darius au téléphone

































[1] Kandinsky : Du spirituel dans l'art, et dans la peinture en particulier.